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Dix ans de retard
4 novembre 2020

2020 : 4 novembre : Lectures croisées: Charb et Nedjib Sidi Moussa

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Lectures croisées : Charb et Nedjib Sidi Moussa

 

J’ai enfin achevé cette semaine la lecture de deux petits livres qui m’ont accompagné depuis 2015 pour l’un, 2017 pour l’autre, toujours ensemble, à l’occasion de diverses allée et venues entre l’Europe et l’Amérique du Sud.

Je me trouvais en Uruguay en janvier 2015, au moment de l’attentat contre Charlie Hebdo, et par hasard à l’Alliance Française où la télévision retransmettait les évènements presque en direct. Jusqu’alors j’étais plus «Canard enchainé» que «Charlie Hebdo», mais surtout admirateur de longue date de Cabu et Wolinski. En 2006, j’avais même envoyé le manuscrit de mon premier roman à Charlie, en leur proposant de le publier en feuilleton. Pas de réponse, mais je ne leur en ai pas voulu.

De retour en France au printemps 2015, je n’ai pas manqué d’acheter le livre de Charb, « Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes ». Je l’ai plusieurs fois commencé, laissé, repris au milieu, sans le lire intégralement, car j’étais en parfait accord avec la thèse et les arguments de l’auteur, parfaitement résumés par le titre.

À l’automne 2017, peu avant de repartir pour un long séjour en Uruguay, j’ai eu connaissance de la publication par les éditions Libertalia de « La fabrique du musulman », de Nedjib Sidi Moussa. Le résumé de l’ouvrage, et la trajectoire de l’auteur, m’ont tout de suite fait pressentir une lecture très complémentaire de celle du livre de Charb. Déménagement et travail en Uruguay m’ont contraint à la reporter sans cesse. J’ai eu à lire et traduire un bon nombre d’ouvrages uruguayens et latino-américains. Parfois je commençais « La fabrique du musulman », ou bien je l’ouvrais au milieu, mais jamais je ne m’en saisissais du début à la fin.

Ce n’est que cette semaine, dans le contexte du procès des attentats de « Charlie » et de la vague d’attentats qui viennent de se produire que j’ai entrepris, enfin, de lire intégralement les deux bouquins à la suite.

La « Lettre aux escrocs… » de Charb a été bouclée deux jours avant qu’il soit assassiné avec les autres rédacteurs et dessinateurs de Charlie. C’est un livre court presque un pamphlet, presque un testament, dont la suite de l’histoire a confirmé la grande lucidité. Il suffit de voir dans quelle fange se vautre une grande partie de la « gauche », mais à ce niveau de décomposition peut on encore parler de gauche, et combien cette trahison profite à l’extrême droite, au point qu’elle risque fort de gagner la présidentielle de 2022. Combien de reniements depuis 2015, avec quelle allégresse piétine-t-on les cadavres ! Pour qui est déjà depuis longtemps convaincu, le livre a surtout l’intérêt de contextualiser l’affaire des caricatures, montrer la chronologie des faits et les manipulations qui découlent de la dissimulation de cette chronologie. Les caricatures ne sont pas apparues dans un ciel serein où les nuages du néo-fascisme islamiste auraient été inconnues. Le travail de sape de l’internationale islamofasciste était déjà commencé depuis de longues années, et particulièrement dans les pays « musulmans » où on égorgeait allègrement enseignants et intellectuels ou caricaturistes longtemps avant l’affaire des caricatures trop souvent présentée comme un début et une agression gratuite. L’islamisme se caricaturait lui-même de la façon la plus répulsive depuis longtemps.

L’intérêt de « La fabrique du musulman » est double. En premier lieu il s’agit d’un essai plus que d’un pamphlet, une étude rigoureuse riche en notes et références. Ensuite son auteur, Nedjib Sidi Moussa, est sur une ligne politique devenue rare à l’extrême gauche, difficile à étiqueter mais se référant à Marx, à l’anarchisme, au situationnisme et à Camus, entre autres. Donc une extrême gauche rationaliste, universaliste qui ne cède pas aux sirènes identitaires ou religieuses qui ont mené au naufrage la majeure partie de l’extrême gauche. Ses origines familiales algériennes et messalistes, donc anti-FLN, sont sans doute à l’origine de sa position politique. Son parcours universitaire et son doctorat en sciences politiques le rendent encore plus atypique, tout en lui servant d’armes pour écrire d’une façon à la fois rigoureuse et claire, accessible à toute personne normalement instruite, et très loin du verbiage fumeux qui permet à certains de jouer les révolutionnaires et les avant-gardes.

Un profil assez différent de celui de Charb, proche du PCF, mais pas mal de convergences, pour le meilleur. On s'imagine que le pauvre Charb qui se déclarait en faveur de Mélenchon pour 2012 a dû se retourner dans sa tombe quand celui-ci a manifesté aux côtés du CCIF.

« La fabrique du musulman » pratique une autopsie de cette gauche gangrenée par l’islamisme et l’identitarisme, sa dérive depuis les années 1980 de l’antiracisme universaliste laïc à la peste racialiste et "décoloniale" actuelle qui finit par converger avec l’extrême droite dans le cas du PIR, et à miner la gauche mélenchoniste-oboniste, notamment par l’action délétère d’une Houria Bouteldja. Tout cela se résume en un mot : confusionisme, la peste du vingt-et-unième siècle, celle qui mêle Soral, Dieudonné, Bouteldja, et sa camarade Obono, entre autres.

La thèse principale du livre, parfaitement étayée, est que la mise en avant de la catégorie « musulman », au détriment de l'ouvrier arabe, favorise la convergence entre extrême-droite et extrême-gauche, au bénéfice de la première. La racialisation et l’essencialisation de la question sociale, en évacuant la dimension économique des luttes de gauche profite à deux tendances de l’extrême droite, celle qui grouille autour du Front National, et celle qui émerge avec les différentes tendances de l’hydre islamo-fasciste. Deux extrêmes droites dont je suis convaincu qu’elles ont besoin l’une de l’autre et tout intérêt à se renforcer mutuellement pour pousser à la guerre civile et instaurer leurs dictatures.

Plutôt que de citer ou paraphraser le texte, voici quelques extraits de ses conclusions, sous l’égide de Camus, qui ne doivent dispenser personne de cette lecture !

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