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Dix ans de retard
17 novembre 2020

2020 : 17 novembre : Deux livres de Philippe Vinard.

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Philippe Vinard

 

Cet auteur a fait une longue carrière dans la gestion d’ONG humanitaires, ce qui l’a conduit dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie depuis le milieu des années 1980. Nous sommes tous deux publiés par le même éditeur, Yovana, ce qui nous amène à nous rencontrer quelques fois sur des stands, sans très bien nous connaître. 

« Les sirènes du Kampuchea », évoque le séjour de l’auteur au Cambodge dans les années qui suivirent le renversement du régime génocidaire « Khmer rouge » de Pol Pot par l’armée du Vietnam voisin, avec l’installation d’un nouveau régime, toujours communiste, et pas encore vraiment reconnu par la communauté internationale. Un pays terriblement meurtri et presque coupé du monde, où les humanitaires étrangers habitent un hôtel qui leur est réservé, vivent très encadrés par des « guides » officiels de l’état, et entretiennent des relations très codifiées (à la fois par les règles de la tradition et celles du communisme) avec les Cambodgiens.

C’est avec beaucoup d’empathie et de douce ironie que l’auteur raconte les questionnements et les étonnements d’un jeune français découvrant un peuple attachant et déconcertant, des individus qui maintiennent leur passé dans le flou comme pour oublier l’horreur des années de guerres et de génocide, ou pour cacher les reniements et les arrangements imposés par les nécessités de la survie. Du simple serveur du bar de l’hôtel jusqu’au cadre du parti ou à l’ancienne princesse servant de caution au nouveau régime, chaque portrait est peint par petites touches, tout en nuances et en zones d’ombre. Les contradictions entre la raideur bureaucratique révolutionnaire et les petites combines discrètes sont souvent sources de situations absurdes, ou cocasses. Parfois, sans explications, un interlocuteur habituel disparait plus ou moins longuement, sanctionné pour quelque obscure faute…

La relation avec la France, ancienne puissance coloniale, est pleine d’ambigüités. Il y a l’ancien diacre catholique qui vit dans la nostalgie de sa religion à présent interdite, et espère le retour d’un curé français exilé à Bangkok. Ou bien le cadre du parti qui ne peut oublier ses années d’études au Quartier Latin. Et puis les nombreuses familles déchirées par l’exil, pour qui les humanitaires servent de messagers entre ceux qui sont restés au pays et ceux qui vivent en France. Curieux et débrouillard, il trouve le moyen de visiter des régions plus ou moins interdites aux étrangers (il y a encore des maquis khmers rouges en activité) ou de fréquenter des militaires vietnamiens venus libérer (ou occuper selon le point de vue) le Cambodge. Dans cette société communiste et théoriquement égalitaire, d’énormes disparités persistent et l’auteur sait établir des relations humaines avec tous, des plus hauts perchés jusqu’aux miséreux et estropiés des marchés populaires, toujours avec émotion et respect. Chaque vie, même la plus « insignifiante » pourrait faire l’objet d’un roman.

L’auteur dissèque aussi le microcosme humanitaire, confiné par le gouvernement dans des hôtels de luxe : les occidentaux surtout, car ceux des «pays frères socialistes », moins suspects, sont traités à part. La générosité ambigüe de la communauté internationale, la compétition dans l’aide, les motivations plus ou moins claires des acteurs, leur mélange d’altruisme et d’ambition personnelle, leur solitude, rien n’échappe au scalpel de Philippe Vinard.

Le second livre, « Comédies médicales », se situe chronologiquement peu de temps après l’expérience cambodgienne, mais cette fois en Afrique, au Tchad, pays ravagé per des décennies de guerres civiles, et toujours dans le monde de l’aide humanitaire. Cette fois le ton change, la retenue cède le pas à une satire réjouissante, qui vise beaucoup plus le milieu médical et les organisations humanitaires que les autochtones.  La comédie médicale tourne souvent à la farce. Les chapitres sont en général centrés sur un ou quelques personnages en pleine agitation, ou aux prises avec les lourdeurs et les absurdités de l’administration, celle des ONG ou celle des l’état tchadien. Les mêmes personnages peuvent réapparaître dans un rôle secondaire au chapitre suivant. C’est une galerie de portraits qui doit à La Bruyère, à Courteline, Tom Sharpe ou David Lodge. L’auteur a le sens de la formule qui fait mouche : « Les mauvaises langues disaient que l’urgence était le dernier refuge du colonialisme » ou bien « Il savait, lui, qu’il ne sert à rien de sauver un cas avec une pilule et qu’il vaut mieux soigner un pays entier avec un gros rapport. »

On voit ainsi défiler Dr Kool, Dr Kleester, Dr Karvard, ou bien Charly, le jeune idéaliste qui déchantera vite, et quelques autres envoyés de la fameuses ONG « Docteurs sans limites ». Quiconque a vécu en Afrique en ce temps là reconnaîtra quelques incontournables de la « coopération » comme la troupe de théâtre, les célibataires envoûtés par les beautés africaines, les vieux hôtels et restaurants aux splendeurs enfuies. Qui a vécu dans d’autre pays africains, plus paisibles, se souviendra de ce Tchad où on ne voulait surtout pas aller en raison des conflits incessants, des interventions militaires françaises à répétition, avec leurs fréquentes «évacuations de ressortissants». Cela mérite au passage un clin d’oeil à la trilogie de romans d’Eugène Ebodé qui évoque aussi une fuite de N’Djaména vers le Cameroun sous les sifflements des balles.

Il y a les altruistes et les carriéristes, ceux qui ont fraichement débarqué pour une mission courte, ceux qui n’arrivent plus à s’arracher, ceux qui sont là depuis toujours et ne pourront plus partir. Tout un petit monde en vase presque clos, avec ses ragots, ses coucheries, ses aventures féminines locales, et pour les homosexuels une certaine difficulté à faire des rencontres dans un pays où la religion musulmane pèse sur les mœurs. Pourtant de bonnes fortunes peuvent se présenter, et quand ce n’est pas avec des tchadiens, il reste certains légionnaires de la garnison française. 

Tout cet humour n’exclut pas complètement une certaine gravité, notamment dans le beau chapitre où un certain Claude, qui pourrait bien être un alter-ego de l’auteur, part sur les traces de Paul, le personnage mystérieux qui semble avoir décidé d’aller mourir seul dans la brousse du nord-Cameroun.  

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