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Dix ans de retard
27 novembre 2020

2020 : 27 novembre : Quelques livres sur la guerre d'Algérie, du côté des appelés...

Algérie

 

Quelques livres autour de la guerre d’Algérie et de l’étang de Thau

 

J’ai enchaîné récemment la lecture ou la relecture de ces livres reliés par le souvenir de la guerre d’Algérie, et le fait que j’en connais plus ou moins bien les auteurs, rencontrés non loin de l’étang de Thau autour duquel nous avons tous vécu à un moment ou l’autre. Autant de livres centrés sur l’histoire de ces appelés qui ont fait la guerre contre leur volonté. 

Le plus récemment publié (2019) est « Mon père, ce tueur » de Thierry Crouzet, qui m’avait donné un beau coup de pouce avec une vidéo sur internet lors de la parution de mon premier roman, à une époque où je ne maitrisais pas ces moyens de communication. Nous avons aussi à l’occasion parcouru ensemble quelques sentiers pyrénéens, et l’étang de Thau à la pagaie. J’ai lu plusieurs de ses livres, notamment « Eratosthène » et « J’ai débranché » qui reste le seul livre où je suis mentionné par mon prénom, et rien que ça, c’est déjà très bon pour l’ego. Ensuite il est parti pour l’Amérique du Nord, et moi pour l’Amérique du Sud.

« Mon père, ce tueur » est une évocation d’une vie bousillée par la guerre, celle d’un jeune homme passionné de vie au grand air, de pêche et de chasse, devenu « Jim » malgré lui, tireur d’élite pendant son service militaire en Algérie, et brisé par le stress post-traumatique. Père et mari parfois pris d’accès d’une violence qui l’a poussé jusqu’à menacer son fils d’une arme à feu. Après sa mort, son fils reçoit en lourd héritage toute son l’artillerie et une grosse enveloppe qu’il n’ose ouvrir. Il lui faudra toute l’enquête et l’écriture du livre reconstituant la jeunesse du père, avec les atrocités vécues en Algérie, pour trouver peut-être le courage d’ouvrir cette lettre posthume. 

C’est un livre poignant, parfois à la limite du soutenable, comme tous ceux qui évoquent cette guerre dégueulasse, où les seules respirations sont les images des beautés d’une nature indifférente à nos tragédies. C’est aussi une introspection de l’auteur, et en cela le livre tranche avec les œuvres précédentes de Thierry Crouzet, en général plus historiques ou documentaires, et basées sur sa passion pour les sciences et la SF. Certainement son meilleur livre à ce jour, comme une révélation ou un tournant dans son œuvre.

(En achevant la lecture du livre de Thierry, j’ai pris conscience d’un certain nombre de coïncidences ou de résonnances avec un roman que j’ai traduit l’an passé, « L’enfant du fleuve », originellement « El zambullidor », de Luis Do Santos. Aucun rapport avec la guerre d’Algérie, mais « Jim » allait souvent faire des parties de chasse en Uruguay, pays du « zambullidor ». Et au-delà de ça, le livre de Luis Do Santos évoque aussi la relation difficile entre un fils et son père violent, la vie dans la nature au bord de l’eau, la chasse, la pêche, et une réconciliation au chevet du père mourant.)

« Tébessa, 1956 », publié en 2008, était le premier roman de Laurent Cachard, écrivain croix-roussien émigré, venu en quête d’une vie meilleure sur les rivages sétois, et que j'ai rencontré là dans le cadre d'un festival littéraire. Ce texte est une sorte de monologue intérieur, celui d’un jeune appelé français qui ne tenait pas vraiment à faire cette guerre, et qui tombe un matin dans une embuscade du FLN, alors qu’il vient à peine d’arriver dans une zone de combats. C’est son baptême du feu, et le lecteur comprend vite qu’il n’en sortira pas. 

Le deuxième classe Poncet, au contraire du « Jim » du roman précédent, n’en reviendra pas, mais cela lui évitera d’être sali et détruit moralement par cette expérience de la guerre, celui évitera de vivre cinquante ans de plus empoisonné par la haine et la violence. Poncet est presque trop parfait, trop innocent, comme un agneau sacrifié. Est-il pour autant l’antithèse de « Jim » ? Non, à bien y regarder ils ont des choses en commun : l’âge, l’appétit de vivre, l’attachement au lieu d’origine, aux parties de chasse et de pêche pour « Jim », ou bien aux courses en montagne, dans les Alpes avec ses copains, pour Poncet. Ils ont aussi une certaine morale qui les retient de participer sans remords aux défoulements collectifs des bidasses, les beuveries, les bordels, car « un homme, ça s’empêche».

Celui qui meurt restera pur, celui qui en revient portera cette salissure de la guerre jusqu’à la fin de ses jours. Comme tous ceux qui vont mourir, parait-il, Poncet voit défiler sa courte vie au ralenti, se souvient de ses parents, ses sœurs, son quartier, ses rues de la Croix-Rousse, les premiers mois en Algérie à faire ses classes militaires. Si l’écriture est d’une qualité enviable, le petit défaut de ce premier roman, pourtant très court, pourrait être ce ralenti cinématographique sur l’embuscade où les compagnons de Poncet tombent les uns après les autres, tandis que le narrateur étire les minutes et les secondes pour y caser toujours plus de nostalgie et de regrets, un ralenti qui ralentit de plus en plus jusqu’à ce que l’image se fige, comme au bord d’un trou noir, avant de basculer derrière l’horizon des évènements. Ce n’est rien, on envie tout de même cette écriture si juste dans un premier roman.

Alors que les deux premiers romans de cette série débutent en 1956, « Kabylie twist » de Lilian Bathelot nous transporte en 1960. Autre différence : les deux premiers sont nourris de vies réelles, le troisième est une pure fiction. Un des personnages principaux est l’inspecteur Lopez, « pied noir », que les lecteurs de longue date de Lilian Bathelot ont déjà rencontré, plus âgé, dans une série de polars sétois, publiés chez Climats au début de la carrière de l’auteur. Etant de ces vieux lecteurs, je me souviens d’une présentation dans la librairie « Le Haut Quartier », rue de Conti à Pézenas, où le libraire Emmanuel Karmazyn avait succédé à Edmond Charlot, encore l’Algérie… Cela remonte bien à vingt ans, et depuis il y a eu, entre autres :  « Le rire d’Olga », « C’est l’Inuit qui gardera le souvenir du Blanc », « L’Etoile noire », « Terminus mon ange », « Simple mortelle », ce dernier encore à lire en ce qui me concerne, ça ne devrait plus tarder… « Kabylie twist » est donc pour moi une lecture un peu ancienne, antérieure à mon dernier séjour en Uruguay, mais j’en garde une forte impression, comme un des deux ou trois meilleurs que j’ai lus de l’auteur. 

Outre Lopez, (car c’est un roman choral où divers protagonistes s’expriment à la première personne), on croise dans « Kabylie twist » : Sylvie, jeune française amoureuse de Ricky, alias Richard, jeune musicien sétois qui fait danser le twist aux estivants de 1960 à Saint Tropez, et devra bientôt partir faire son service militaire en Algérie. Il y a aussi Najib, un jeune Algérien fou de cinéma, amoureux de Claveline, une pied-noir. Et Monsieur Corti, propriétaire d’un cinéma de quartier, qui laisse Najib resquiller sans rien dire. Et quelques autres…  L’histoire s’étire sur les deux dernières années de la guerre. Attentats, massacres, manipulations et doubles jeux militaires, ainsi que le déchirement de Najib dans la quête de ses origines, et le scandale de l’abandon des harkis, sont autant d’éléments de cette intrigue riche et complexe, sans aucun manichéisme. 

Autre lecture, encore plus ancienne : « Les égorgeurs » de Benoist Rey, est la réédition en 1999, d’un livre interdit et saisi à sa parution aux Editions de Minuit en 1961. À la fin des années 90 un groupe de copains anars dont j’étais proche s’était lancé dans l’édition d’un livre par an auquel était attribué d’office le prix « ni dieu ni maître ». Nous avions une ou deux grandes réunions annuelles en camping pas loin de l'étang de Thau, un copain venait avec son orgue de Barbarie. L’un de ces livres fut une de mes premières expériences, pas très concluantes à l’époque, de traduction de l’espagnol : un ouvrage consacré à l’organisation « Mujeres libres » dont une des dernières survivantes habitait un petit village du Biterrois. Et donc, le livre de 1999 fut « Les égorgeurs ». Sans doute le plus insoutenable des témoignages sur la dernière partie de la guerre, un bouquin que je n’ai jamais osé rouvrir après l’avoir lu.

Alors que j’arrive à la fin de ce parcours de lectures, on me souffle que j’aurais pu y ajouter « Le cœur à contreguerre » de René de Maximy, mais je ne l’ai pas encore lu.

Et puis, il y a un autre auteur proche géographiquement de l’étang de Thau, puisque c’était un des critères de départ, et que j’apprécie particulièrement en tant qu’individu, c’est Francis Zamponi, autre grand connaisseur de cette période. Je pense surtout à son roman policier « Mon colonel », qui fut aussi porté à l’écran, mais son intrigue concerne plus les militaires de carrière que les simples appelés. Il n’en fait pas moins partie de mon parcours.

Voilà peut être du beau monde à réunir pour une table ronde lors d’un festival littéraire en 2022, pour les 60 ans de la fin de cette guerre ? 

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