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Dix ans de retard
14 février 2021

2021 : 14 février : Je suis (aussi) un "nègre littéraire" !

nègre littéraire

 

Dans ce domaine comme dans les autres, mes lacunes l'emportent sur mes connaissances. Le nombre des livres que je n'ai pas lus augmente plus vite que le nombre de ceux que j'ai lus. Pourtant je ne peux nier tout ce que je dois à la littérature africaine. Déclaration d'amour.

J'avais une douzaine d'années, tout au plus, quand j'ai lu "L'enfant noir" de Camara Laye, et par la magie de l'identification je suis devenu l'enfant noir, et près de cinquante ans plus tard je revois encore ce serpent dans la cour de la concession familiale, comme si j'avais moi-même vécu la scène. Et quand je pense à "L'Aventure ambigüe" de Cheikh Hamidou Kane, je ressens encore la douleur de l'oreille pincée de Samba Diallo. Une lecture bien lointaine que je devrais sans doute reprendre un de ces jours avec des yeux d'adulte.

Je n'avais pas commencé par ces romans, car dès l'école primaire, ou même la maternelle, les souvenirs sont forts: les premiers imagiers, les lettres dessinées, minuscules, majuscules, cursives, dans "Rémy et Colette" ou dans "Mamadou et Bineta" avaient les couleurs d'un poème de Rimbaud, l'apprentissage de la lecture, éblouissement qui bouleverse une existence ! Et guère plus tard, les aventures de Leuk le lièvre, de Senghor et Abdoulaye Sadji, et ce livre de textes qui s'appelait "Matins d'Afrique". Et les poèmes de Senghor appris par coeur, "Femme nue, femme noire", ou bien "Masques noirs, masques rouges" et de Birago Diop, "Ecoute plus souvent les choses que les êtres...". Par la suite, en cours d'histoire, au collège, l'Empire du Ghana, l'Empire du Mali, l'Empire Songhaï... Et les livres scolaires de l'IPAM.

Cela ne fait pas de moi un "spécialiste", pas plus qu'avoir appris les fables de La Fontaine ou étudié "Les Fleurs du mal" ne fait de qui que ce soit un spécialiste en littérature française. Cela fait de moi quelqu'un qui trimballe un bagage de culture africaine que tout le monde n'a pas autour de moi, et que je partage avec bien des gens que je ne connais pas.

"Transversaliste" et non "spécialiste", j'ai eu la chance de vivre en Amérique Latine après l'Afrique, puis de revenir en Afrique avec ce nouveau bagage, qui m'ouvrait d'autres perspectives. Autour des années du baccalauréat s'est posée pour moi la question de l'existence d'une littérature d'Afrique latine, au delà de l'Afrique francophone. C'est à dire principalement une littérature africaine en portugais (Angola, Cap Vert, Mozambique), et plus marginalement, en espagnol (Guinée équatoriale).

Symboliquement, le lien entre francophonie africaine et "hispanophonie" s'est noué pour moi à Dakar, l'année d'avant le bac. À la rentrée des classes nous avions reçu la visite de Senghor en personne, comme sorti d'un manuel scolaire avec sa petite voix chevrotante. À la fin de l'année, sur l'insistance de ma prof d'espagnol, j'avais participé au concours général des lycées du Sénégal, et reçu de lui le premier prix, pour mon devoir dans cette langue apprise en Amérique du Sud. Une croisée de chemins.

Ma quête de littérature "afro-latine" m'a permis de découvrir peu à peu les auteurs d'Angola et du Cap Vert à une époque où ils n'étaient guère traduits en français, et ce fut un trésor de plus pour mon bagage. (C'est par cette voie que j'ai découvert le portugais Antonio "Lobo" Antunes, qui restye à mes yeux un des plus grands écrivains actuellement vivants, à nobéliser d'urgence.)

À peu près à la même époque, avant ou après le bac, j'ai commencé à lire des auteurs africains plus jeunes, en commençant par Tierno Monenembo avec "Les crapauds brousse", et c'était aussi l'époque de Mariama Bâ avec "Une si longue lettre", je ne vais pas les énumérer tous, mais je conserve encore précieusement quelques livres sénégalais publiés à Dakar vers 1980, certains d'auteurs qui n'ont pas connu le succès mais restent pour moi des lectures marquantes.

Quand je me suis mis à écrire "pour de vrai", même sur un sujet aussi franco-français que l'affaire Dreyfus, il m'a été impossible de le faire sans évoquer des liens avec ce qui se produisait en même temps en Afrique, ou sans introduire quelques protagonistes africains et sud-américains. Quant à mon livre "L'Iliade d'Houmarou", même et surtout s'il est publié dans une collection pour les jeunes, je le revendique comme un véritable manifeste, politique et viscéral, contre tous les replis identitaires, contre l'eurocentrisme et l'afrocentrisme. 

Ce long chemin, qui commence avec "Mamadou et Bineta" m'a donné la chance, beaucoup plus tard, de rencontrer des auteurs de ma génération, d'Afrique comme Eugène Ebodé (et plus âgés comme Henri Lopes), ou d'Uruguay, comme Carlos Rehermann, Gustavo Espinosa, ou guère plus âgés comme Rafael Courtoisie ou Jorge Chagas, et grâce à la traduction ou aux ateliers, de continuer à lancer des passerelles entre les deux rives de l'Atlantique Sud, mais un rêve reste à concrétiser, celui de provoquer leurs rencontre réelles, sur les terres des uns, ou celles des autres. On peut encore rêver...

Senghor juillet 1980

 

 

 

 

 

 

 

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