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Dix ans de retard
30 septembre 2021

2021 : 30 septembre : "Sensatez" de Guillaume Contré.

couv sensatez

 

Guillaume Contré est un traducteur de littérature hispanophone et anglophone, mais aussi un critique littéraire et blogueur, au parcours certainement plus riche que le mien. (Ci-dessous, le lien vers son blog « L’escalier des aveugles ») Disons que je marche sur ses traces avec quelques longueurs de retard, et peu de chances de le rattraper. Ses choix de traductions en littérature latino-américaine sont assez audacieux, (« Il a traduit, entre autres, Pablo Katchadjian, Angélica Gorodischer, Max Aub, Gabriela Cabezón Cámara, Preti Taneja, les poètes Juan Luis Martínez et Osvaldo Lamborghini») et il est notamment un des défenseurs en France de Mario Levrero (pour en savoir plus sur Mario Levrero, voir les liens ci-dessous). Un autre de nos points communs est de faire partie des très rares français qui écrivent et publient de la fiction directement en espagnol. C’est pour cette raison que je devais absolument lire « Sensatez », publié chez la petite mais prestigieuse maison d’édition valencienne « Pre-Textos ». Il a par ailleurs traduit son propre texte en français, pour publication aux éditions Louise Bottu, sous le titre « Discernement ». Encore une sorte d’exploit pour un traducteur, car s’il m’est arrivé de me traduire moi-même à titre d’expérience sur des textes très courts, je n’oserais jamais faire ce travail sur un roman. Il est vrai que « Sensatez » est un texte très court, de moins de 75 pages, mais il est aussi très dense, et d’une seule traite, sans chapitres ni paragraphes, ni dialogues.

Un personnage du nom de Federico déambule dans une grande ville moderne et poussiéreuse, mais aucun indice ne permet de la situer précisément dans l’espace et dans le temps. Tout le texte nous plonge dans cette impression troublante d’indéfinition, d’indétermination, de flottement et d’enfermement. Federico erre de café en café, rencontre des serveurs plus ou moins aimables, qui lui servent des tasses dont une petite partie verse dans la soucoupe, il croise des promeneurs, des chiens, ou les deux ensemble, et des bus qui klaxonnent, des vieilles au regard vitreux qui font penser à la mort… La réitération de situations banales, qui ne sont jamais tout à fait la même, ni tout à fait une autre, crée un malaise, comme dans un mauvais rêve. C’est un climat très « lévrerien » (un adjectif français pour ce qui se rapporterait à Mario Levrero) mais on pense parfois aussi aux exercices de style de Queneau. Il ne se passe presque rien, mais le récit pointilliste et la pensée de Federico se fixent sur une infinité de détails qui prennent une importance parfois démesurée. Federico voit peut-être le monde à travers loupe mentale, qui aurait aussi pour effet de figer l’écoulement du temps. (Et en écrivant ceci je repense soudain à une célèbre photo de Levrero prise à travers une loupe). Il apparait que l’essentiel de ce qui est raconté se passe dans la tête de Federico, personnage obsédé par la « sensatez », c’est-à-dire le bon sens ou le discernement, peut être parce qu’il en est dépourvu. Tous ces petits riens ne sont ils que la vision d’un fou sur la banalité qui le cerne ? Sa vision est troublée, son ouïe aussi, et il n’arrive jamais à identifier les langues dans lesquelles lui parlent les gens qu’il rencontre. 

À mesure qu’on s’enfonce dans le texte, on pénètre encore plus dans l’esprit dérangé de Federico, ses raisonnements, les mots auxquels il se raccroche désespérément, la surabondance de stimuli sensoriels qui l’accablent… Sourd profond et désemparé ? Autiste ? Ou bien victime de tocs insurmontables qui font de lui une sorte de pantin agité qui piétinerait sur place au lieu de traverser un passage piéton ? Il y a quelques traits d’humour, mais le malaise finit par submerger le lecteur.

Par sa brièveté, ce texte est un exercice réussi de virtuosité stylistique, mais on reste un peu sur sa faim. C’est un peu gratuit, abstrait, il manque du sang, ou de la sueur, ou des larmes, et une phrase récurrente le souligne : « Entonces qué ? Entonces nada. »

Quoi qu’il en soit, si un jour quelqu’un écrit l’histoire de « la littérature faite en espagnol par des auteurs français », ce livre restera une référence, un des tout premiers du genre. Une des questions que soulève cette lecture a été posée par le critique uruguayen, Francisco Àlvez Francese : il s’agit de savoir en quel espagnol écrit un auteur français.

Tierras de la memoria: sobre "Sensatez", de Guillaume Contré, y "Los pasajes comunes", de Gonzalo Baz

De nuevo en cuarentena, Francisco Álvez Francese se encontró con las novelas Sensatez, de Guillaume Contré y Los pasajes comunes, de Gonzalo Baz Dejamos Francia apenas unos días antes del comienzo del reconfinamiento y por las disposiciones sanitarias uruguayas nos vimos, al menos por un par de semanas, en la misma situación que nuestros amigos...

http://afuerablog.com

Dans le cas de Guillaume Contré, ses affinités avec l’argentin apparaissent dans l’usage de certains mots, comme « colectivo » pour les bus, « medialuna » pour les croissants, même si cela n’est pas totalement exclusif. La question se pose pour toute personne qui écrit « en una lengua que no sea materna », mais la diversité de l’espagnol est telle que le problème est encore plus important qu’en français, où le dialecte germanopratin reste très dominant. L’apprentissage de l’espagnol pour un non natif passe par des contacts avec diverses variantes qu’on peut finir par mêler au risque d’en faire un « globagnol », et de se mélanger les pinceaux au moment d’écrire. C’est une question qui me passionne et dont je suis loin d’avoir fait le tour, mais il est certain que Guillaume Contré s’en tire très bien, on attend avec impatience son prochain ouvrage. (J’ajoute une vidéo musicale pleine d’humour ci-dessous, qui illustre très bien le sujet).

Résultats de la recherche levrero - LES LETTRES DE MON TRAPICHE - CanalBlog

Voir les blogs correspondant à la recherche " Maldito Levrero ! ", de Jerome Vonk. (par Antonio Borrell) .... " Maldito Levrero ! " est un hommage... de l'écrivain uruguayen Mario Levrero, décédé depuis quelques années déjà... livre dont Mario Levrero est le héros, et ce Levrero là invente...;: "tous les chemins mènent à Levrero ".

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