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Dix ans de retard
30 octobre 2020

2020 : 30 octobre : Au sujet de la "Saga de Mô", de Michel Torres.

sagademo

 

La saga de Mô ou « Le grand bleu-noir » 

Michel Torres est, parmi les quelques auteurs amis et géographiquement proches de moi, celui dont j’ai lu le plus de livres, sept titres, suivi de près ou peut-être à égalité avec Lilian Bathelot, et si je compte les pages, Joëlle Wintrebert n’est pas loin, grâce à des livres plus épais. Mais il n’est pas question de podium ici.

Les sept livres de Michel Torres forment un ensemble, centré sur le personnage de Mô, une sorte de marginal désabusé, désespéré, habitant une cabane au bord de l’étang de Thau, et vivant du produit plus ou moins illégal de ses plongées sous-marines. Est-ce du polar, du noir, du fantastique ? Un peu de tout ça à la fois, trois genres que je lis très peu d’habitude. Ce n’était donc pas gagné d’avance.

Par où ai-je donc accroché ? Par le côté réaliste et local du premier tome. Ce n’est peut-être pas ce qu’aurait envisagé l’auteur, d’être lu au premier abord comme un roman « de terroir », mais j’avoue que c’est ce que j’ai cherché en premier, mes souvenirs d’enfance dans un décor que je connais bien. Ensuite le côté aventures maritimes et sous-marines me convenait aussi, oui, je suis d’une génération biberonnée à l’Odyssée de Cousteau puis au « Grand Bleu ».

Chaque volume de la saga met en scène son anti-héros à un âge de la vie, et le premier intitulé « La Meneuse » correspond à l’enfance. Sur fond de vendanges dans les années soixante, une enquête policière fait remonter de sales histoires datant de la seconde guerre mondiale. Entre mer, canal du midi, étangs de Thau et du Bagnas, j’y ai retrouvé souvent des images de ma propre enfance. Voilà ce qui fait que ce tome est un de mes préférés : c’est un peu nombriliste, j’en conviens, mais c’est ainsi. J’étais monté dans le train, il fallait lire les suivants.

Le style, le travail sur le langage, était l’autre intérêt de cette série : avec son mélange d’argot, d’occitan et d’espagnol, on aurait l’impression que Michel Torres écrit comme il parle, mais il ne parle pas comme n’importe qui.  

Au second tome, c’est Aristide, l’ami un peu simplet mais très costaud, accompagnant Mô depuis l’enfance, qui sera au centre de l’histoire. Ils ont alors la vingtaine et forment un triangle amoureux avec Malika. Ils sont installés dans une cabane de pêcheur sur le rivage de l’étang de Thau, ce lieu qui deviendra l’antre de Mô pour tout le reste de la saga. On commence à faire connaissance avec d’autres personnages récurrents, comme « Le Corse », un receleur qui sait tout et lance Mô sur tous les mauvais coups possibles, et puis des prostituées, des proxénètes, et une sale histoire dont Aristide ne devrait pas réchapper, mais… Ce second opus m’avait moins convaincu que le premier, car il me semblait que la fin aurait gagné à rester plus ambigüe, comme rendue floue par l’ivresse des profondeurs. Mais j’étais décidé à lire le troisième.

C’est avec les numéros impairs que j’ai eu le plus de chance. Pourtant le troisième tome « L’étang d’encre » annonçait la couleur, une plongée en enfer, au sens propre, inspirée par Dante. Les histoires de diables et de damnés n’étant pas ma tasse de thé, j’avais abordé la lecture avec prudence. L’apparition d’un vieil oncle de Mô, ancien collabo et SS, recollait avec les souvenirs de « La Meneuse », l’idée de l’accès aux Enfers en sous-marin de poche par une source thermale de l’étang de Thau m’amusait, et je me suis laissé entraîner. Outre l’anecdotique invasion de l’enfer par les nazis, c’est surtout les ambiances et paysages angoissants créés dans le récit qui ont achevé de me convaincre. Dans ce tome, l’auteur lâchait complètement la bride à son imagination, il fallait sauter de sa charrette ou accepter de le suivre. En fin de compte un des meilleurs de la série, grâce aussi à une certaine dose d’humour. 

Je n’ai pas gardé de souvenir bien précis du quatrième tome, « Tabarka », si ce n’est la sensation que le recours à l’artillerie et aux explosifs pour régler ses problèmes avec les méchants, devenait un travers de Mô qui pourrait me lasser. Seule image à conserver : celle des chantiers de bateaux en ferro-ciment sur les bords de l’étang de Thau, qui fascinaient le gamin que j’étais dans les années 70. 

Un long séjour à l’étranger et la lecture intensive de littérature latino-américaine m’avaient éloigné de Mô pendant trois ans. C’est donc assez récemment que j’ai décidé de reprendre le fil de la saga.

Le tome 5, « Skaoté », n’a pas connu la chance des numéros impairs. Le recours au rêve, aux divinités antiques, nordiques ou égyptiennes, n’a pas suffi à fendre mon armure rationaliste. Dommage pour la belle histoire d’épave à trésors. Dans la foulée le tome 6 « Malaïgue », très proche du 5 dont il constitue une suite immédiate, ne m’a pas accroché non plus. Son atmosphère (post)apocalyptique m’évoquait parfois « Spinoza encule Hegel » de J.B. Pouy, mais c’est un souvenir trop lointain pour être précis. La traversée de l’Espagne en moto, la résurrection de la Guerre Civile de 1936, accumulaient un peu trop de clichés. C’est un travers qui n’est pas réservé à Michel Torres. Nous sommes trop nombreux (oui, je m’y inclus) les auteurs quinqua ou sexagénaires à cultiver tous ces clichés d’une époque certes passionnante, nous avons peut-être trop lu « Les Phalanges de l’ordre noir » (ou d’autres excellents bouquins sur le sujet) pour ouvrir les yeux sur la réalité actuelle. Il serait temps qu’une nouvelle génération d’auteurs de polars s’intéresse aux banlieues de Barcelone peuplées de latino-américains, ou aux collusions entre mafia russe et oligarchie séparatiste catalane. Fermez la parenthèse.

C’est ainsi que j’ai achevé la lecture des six volumes de la saga de Mô, avec une nette préférence pour les numéros 1 à 3. Et le septième ? Le septième, sous le titre « Malika » est un bonus, une histoire qui vient s’intercaler entre le 3 et le 4. Et celui-là, encore un impair, m’a réconcilié avec la série. On y retrouve Aristide, et le fantôme de Malika (assassinée au tome 3), de nouveaux personnages dont Félix le jeune peintre gitan et sa famille, un trésor sous-marin, bref tout ce qui me plaisait dans la première moitié de la saga, et pour finir une nouvelle visite aux enfers, qui arrive à garder la force d’évocation du tome 3, avec Aristide en Orphée et Malika en Eurydice, et enfin un séjour de rêve dans l’île de Vulcano… Un huitième volume est annoncé, je l’attends.

Pour finir il faut également signaler que les éditions Publie.net ont fait sur cette série un joli travail graphique qui apporte beaucoup au plaisir de la lecture ! 

 

6xmo

torres_malika

 

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Commentaires
L
J’ai commencé et arrêté avec Tabarka : trop de morts violentes qui tuaient le récit ! Je devrais ressayer avec le premier alors.
Répondre
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