10 juin 2021
2021 : 10 juin : L'ABrassencédaire des Automn'Halles de Sète.
À l'occasion du centenaire de la naissance de Georges Brassens, l'association Les Automn'Halles qui organise tous les ans le festival du livre de Sète au mois de septembre (et dont je suis un des nombreux bénévoles) a lancé ce projet de livre commémoratif sous forme d'abécédaire. Chacun des contributeurs s'est emparé d'une lettre de l'alphabet pour rédiger une page d'une longueur strictement imposée de 350 mots et 3 notes en bas de page. J'ai eu bien l'honneur de participer à l'aventure avec la lettre "N" comme Noir, et je livre ici ma contribution. Pour découvrir les 26 autres, il faudra se procurer le bouquin !
Noir, noir, noir, il est noir mon drapeau
Comme Kropotkine et Malatesta
Je t’aime noir, drapeau noir
Comme mon Espagne, celle des années trente
Je t’aime noir, drapeau noir… (1)
J’avais vingt ans à Quito, au pied du volcan Pichincha, dans la fumée des pneus enflammés, dans les gaz lacrymogènes les pavés volaient, éruption de colère pour quatre sous, pour un ticket de bus trop cher, pour des années de dictatures militaires successives. J’avais vingt ans, guère plus, un foulard sur le nez, ma haute silhouette maigre dépassait tout le monde, on m’appelait « El Chamo », le gamin. Nous portions les cheveux longs, des guitares et des pantalons à pattes d’éléphant. Pour les curés nous étions des rockers sataniques. Les militaires faisaient des razzias en ville pour nous embarquer dans leurs camions, nous conduire à leurs casernes et nous raser le crâne, nous humilier en nous traitant de pédés, de hippies et de communistes. Quand sur le campus nous voulions jouer Bob Dylan ou Led Zeppelin, les maos faisaient irruption, cassaient nos guitares, nous accusant d’être les suppôts de l’impérialisme yankee.
Je lisais tout : Malatesta, les poètes occitans, Victor Jara, Violeta Parra, et sans avoir jamais appris le français je découvris Brassens. Avec passion j’entrepris de le traduire à l’aide d’un dictionnaire, sans savoir que j’entrais dans une confrérie planétaire, aux côtés de Graeme Allwright, de Paco Ibáñez, Sam Alpha, Jacques Yvart, Eduardo Peralta, André Chiron, Fabrizio de André… Avec Brassens, je découvris, Vian, et repris mon dictionnaire pour Le Déserteur (2).
Je suis Jaime Guevara, le troubadour de toutes les causes perdues en Équateur, l’opposant à tous les satrapes, j’ai souvent connu la prison, j’ai pris de l’âge et de la notoriété : abstinent dans un pays d’ivrognes, anarchiste au milieu des marxistes, je suis resté ce vieil adolescent à guitare, blue-jeans et longue tresse dans le dos. Je n’ai jamais visité Sète, mais si vous venez chez moi, vous verrez au mur, au-dessus de ma collection de vieux 33 tours, la fameuse photo où ils sont tous les trois autour d’une table : Brel, Ferré, Brassens (3).
1- Negra, negra, negra, es mi bandera (bis) Como Kropotkin y Malatesta
Te quiero negra, negra bandera Como mi Espana, la de los treinta
Te quiero negra, negra bandera. (Jaime Guevara, Bandera negra II)
2- Guevara, J. (2004) Lo que escribì en las paredes, Editions Los libros de tintajì, Quito, Equateur.
3- Photographie de Jean-Pierre Leloir. Rencontre organisée par François-René Cristiani pour Rock & Folk, le 6 janvier 1969.
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