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Dix ans de retard
27 novembre 2021

2021 : 27 novembre : « Los palimpsestos », d’Aleksandra Lun (À propos des écrivains extraterritoriaux)

aleksandra lun palimpsestos

 

Editorial Minùscula, Barcelona, 2015, 160 pages

ISBN : 978-84-943539-5-6

 

Aleksandra Lun est polonaise, née en 1979, polyglotte, traductrice, elle écrit de la fiction en espagnol et vit en Belgique ! 

À la mi-octobre j’ai eu l’occasion d’une brève rencontre avec l’écrivain péruvien Fernando Iwasaki, sur un stand de la Feria del libro de Valencia, où nous avons évoqué les auteurs qui écrivent en espagnol alors qu’il ne s’agit pas de leur langue maternelle. Il les appelle écrivains « extraterritoriaux » et voit dans leur petit nombre un indice de la faible influence culturelle du monde hispanophone. Si on compare avec le nombre d’auteurs « extraterritoriaux » écrivant en anglais et en français, cela semblerait lui donner raison. (Le cas du chinois mériterait d’être creusé, car en tenant compte de l’importante diaspora chinoise il serait difficile de discerner qui est extraterritorial et qui ne l’est pas, et de savoir s’ils ont accès à une industrie du livre qu’on imagine sous fort contrôle de la censure. Fermons la parenthèse). 

La conversation avec Fernando Iwasaki a continué par un échange de livres et de courriers électroniques. Je m’étais déjà interessé au cas des auteurs francophones écrivant ou ayant écrit en espagnol (Max Aub, Daniel-Henri Pageaux, Guillaume Contré, Emmanuelle Almira et… bibi) et j’ai publié deux articles à ce sujet dans mon blog, mais Iwasaki a élargi mon horizon, car il a déjà creusé le sujet plus que moi. 

2019 : D'autres auteurs français écrivant en espagnol. - Dix ans de retard

Quand vers 2009-2010 je me suis lancé dans l'écriture de mon premier roman en espagnol, je m'imaginais que bien d'autres que moi (dans le passé comme de nos jours) avaient déjà tenté ce genre d'expérience.

http://dixansderetard.canalblog.com

À part Max Aub, il ne connaissait pas les francophones que je lui ai dénoncés, il m’a parlé d’un certain nombre d’autres que j’ignorais. J’ai retrouvé la liste dans une interview qu’il avait donné à EFE en mai 2015 : « Actualmente, escriben en castellano un grupo de escritores que sería un lujo en cualquier tradición literaria, como la rumana Ioana Gruia, el chino Siu Kam Wen, el húngaro Kalman Barsy, el checo Mirko Lauer o la japonesa-alemana-norteamericana Anna Kazumi Stahl, pero el más extraordinario es el italiano Fabio Morabito, cuyas novelas, cuentos y ensayos recomiendo encarecidamente. »

Fernando Iwasaki: "Lo terrible es que los índices de lectura sean tan pobres"

El escritor peruano afincado en Sevilla Fernando Iwasaki, ganador del Premio Don Quijote de Periodismo por su ensayo "La Mancha Extraterritorial", publicado en El Mercurio de Chile, ha dicho que "lo t.

https://www.efe.com

Et j’avoue que je ne connaissais personne de sa liste, ce qui aura pour effet d’alourdir, s’il le fallait, ma pile de lectures en retard. (C’est malin !).  Alors que je cherchais à en savoir plus sur ce sujet, mes divagations sur internet m’ont amené à découvrir Aleksandra Lun et son livre « Los palimpsestos », publié en octobre 2015 chez Minùscula, à Barcelone. Quelques mois d’écart qui peuvent expliquer qu’elle ne soit pas citée dans l’interview d’Iwazaki. Je me suis rapidement procuré le livre et c’est une révélation !

aleksandra-lun

On pourrait dire, même si c’est caricatural, qu’Aleksandra Lun est la fille cachée d’Antoine Volodine et de Roberto Benigni ! Son personnage est un écrivain inconnu, portant un nom slave, Czeslaw Przesnicki, il est enfermé dans un asile psychiatrique belge, régulièrement soumis à la camisole de force et aux injections de calmants, homosexuel privé depuis longtemps de vie sexuelle, chétif et sans espoir, il est persécuté pour le seul fait d’avoir écrit un roman sans succès dans une langue étrangère, la langue antarctique, que les psychiatres s’efforcent de lui faire oublier pour l’obliger à n’utiliser que sa langue maternelle, le polonais.  

À chaque séance de thérapie dans le bureau de la psychiatre, fait irruption un grand nom de la littérature « extraterritoriale », un grand écrivain qui a écrit dans une ou plusieurs langues étrangères pour lui. À commencer par Nabokov, équipé de gants de boxe, qui fracasse les meubles pour intimider la psychiatre et encourager le pauvre Czeslaw à écrire un second roman en langue antarctique. Le lendemain c’est Beckett qui vient casser les meubles neufs de la psychiatre pour argumenter en faveur de Czeslaw, et ainsi de suite vont défiler jour après jour, avec ou sans violence, des personnages comme Conrad, Cioran, Ionesco, Agota Kristof, qui sont apparemment eux aussi enfermés dans cet asile… (Mon cher Panaït Istrati manque à la liste). 

Entre les séances, Czeslaw est reconduit à sa cellule, qu’il partage avec un dynamique prêtre polonais qui passe beaucoup de temps sur le vélo d’appartement, ou à regarder les apparitions du pape Karol Wojtyla à la télévision. Bien entendu, si on a donné ce voisin à Czeslaw, c’est pour l’obliger à parler polonais. Pourtant, entre deux rêves grotesques, racontés au début de chaque chapitre, Czeslaw trouve des moments pour s’isoler au WC et tenter d’écrire son second roman en langue antarctique sur de vieux exemplaires d’un célèbre quotidien flamand. 

C’est là que l’humour benignesque d’Aleksandra Lun se déchaîne, à force de situations grotesques et répétitives, de réitérations légèrement différentes, de réutilisation obsessionnelle de tournures et d’images telles que « la Belgique qui vit sans gouvernement depuis un an », le pape qui embrasse les tarmacs d’aéroports partout autour du monde, Hitler cet hyperactif, les queues devant les magasins vides de la Pologne moustachue et  communiste, Danuta Lato, la chanteuse polonaise des années 80, blonde à forte poitrine (sérieuse concurrente de la brune italienne Sabrina Salerno), les passages à tabac du pauvre Czeslaw par une horde d’écrivains de l’Antarctique, furieux de s’être fait voler leur belle langue par cet immigrant arrogant, et ainsi de suite… On rit à chaque page, et comme les pages sont courtes, on rit souvent. 

Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, derrière le petit roman hilarant il y a en prime un essai érudit sur le thème des écrivains extraterritoriaux (je soupçonne que les arguments émis par chacun d’entre eux proviennent d’interviews et qu’Aleksandra Lun s’est très bien documentée), sur les diverses raisons qu’on peut avoir d’écrire dans une autre langue que la sienne, ou sur ce qu’est exactement une langue maternelle. Bref, même si le livre date de 2015, il est grand temps de se mettre à jour, lecture réjouissante et fort recommandable !

Le livre est paru en français en 2018 :

Les Palimpsestes - Editions du sous-sol

Ça ne va pas très fort ces derniers temps pour Czesław Przęśnicki. À trente-cinq ans, cet autoproclamé "écrivain raté", ressortissant polonais d'expression

http://www.editions-du-sous-sol.com
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