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Dix ans de retard
10 avril 2023

2023 : 10 avril : "Patagonie route 203", d'Eduardo Fernando Varela.

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Plus que jamais, ce blog est consacré à mes lectures en retard. En octobre 2020 à Sète, j’avais servi à l’improviste de guide-chauffeur-interprète à Eduardo Varela et à son éditrice, Anne-Marie Métailié. Ils n’avaient pas vraiment besoin de mes services, mais au moins pour moi ce fut l’occasion d’une journée agréable et enrichissante. Le roman était publié depuis peu en français, avant même de l’être en espagnol. En effet, Anne-Marie Métailié avait repéré le texte, encore inédit, alors qu’elle participait au jury d’un prix à Cuba (Casa de las Américas 2019). Ce jour-là, l’association Sète-Amérique Latine organisait une journée culturelle avec la Nouvelle Librairie Sétoise, et c’est alors que cette lecture en retard s’ajouta à ma liste déjà longue. Deux ans et demi plus tard, ma pile de livres à lire n’a fait que s’accroître, mais apprenant que je vais bientôt rencontrer à nouveau cet auteur (dont un second roman vient d’être publié en français), je me décide enfin à le lire. J’avais bien sûr un préjugé favorable, après notre rencontre et la lecture de la 4ème de couverture, qui est prometteuse. Autant le dire tout de suite, je ne suis pas déçu.

 

La Patagonie argentine, que je n’ai pas eu la chance de connaître, est une immense région désertique battue par les vents, mais sous la plume d’Eduardo Varela elle devient un monde à elle seule, presque détachée du reste de la planète, un monde inquiétant où notre logique et nos représentations de temps et de distances n’ont plus cours, et dont les habitants sont dispersés et ballotés au bord du néant. Pas question ici de « réalisme magique », l’auteur reste dans un monde trivial et déglingué certes, où le surnaturel n’a pas de place, et c’est un des traits du livre que j’apprécie le plus. Le recours à la magie est parfois une facilité : n’est pas Manuel Scorza ou Garcia Marquez qui veut. Varela s’en passe très bien pour créer des ambiances étranges et inquiétantes par moments, mais l’ironie et l’absurde ont aussi leur place. 

 

Parker (c’est un surnom, car il joue du saxophone) est un camionneur qui semble fuir sans cesse un passé mystérieux, au long des milliers de kilomètres de routes et de pistes de la Patagonie. Il n’a pas beaucoup d’amis, et il les rencontre rarement, au hasard de « rendez-vous » complètement aléatoires, comme ceux que lui donne un étrange journaliste, chasseur d’OVNIS et de sous-marins nazis chargés d’or. 

 

Travaillant pour un patron lointain et peu scrupuleux, Parker rejoint des ports de l’Atlantique austral pour charger ou décharger des conteneurs de « fruits tropicaux », sans trop chercher à savoir ce qu’il transporte vraiment. C’est un camionneur qui ne dédaigne pas un certain confort. Chaque soir avant de dormir au milieu de nulle part, et si le temps le permet, il décharge avec un palan tout son mobilier, table, chaises, lit, cuisinière, frigo, et reconstitue un véritable appartement sans murs ni plafond.

 

Il y a de l’humour et de l’inventivité dans ce texte, comme la façon dont on indique un chemin (roulez deux jours dans telle direction, tel jour de la semaine tournez à droite ou à gauche, etc), ou bien dans la toponymie. Varela trouve des noms de lieux très évocateurs et amusants (mais réalistes aussi, on trouve ce genre de toponymie même en Uruguay), « El Suculento », « Jardin espinoso », « Indio Maligno » et bien d’autres trouvailles. Si en principe on ne traduit pas les noms de lieux, cela pouvait se justifier ici, mais une note en bas de page aurait suffi. Le choix de mettre systématiquement la traduction de chaque nouveau nom en incise ente deux virgules est plutôt agaçant à la longue pour le lecteur. L’auteur m’a confié que lui aussi avait été perplexe en voyant ça. Pour ce qui est de la traduction du titre, dont l’original était « La marca del viento », il reconnaît que « Patagonie route 203 » le laissait dubitatif au début, mais que finalement c’est accrocheur pour le public francophone chez qui le mot « Patagonie » éveille des images d’aventures et d’immensités, alors que pour lui ce sont plutôt de mornes souvenirs de son service militaire. 

 

Un jour dans un village perdu, Parker tombe sur une fête foraine misérable et déprimante (J’ai pensé à celle de la nouvelle « Fenimore » de Gustavo Espinosa, que j’ai traduite pour « Autres histoires d’Uruguay » chez L’atinoir). Dans cette fête foraine, le train fantôme est une attraction tenue par un couple, Bruno et Maytén, assistés de deux ouvriers boliviens imprégnés de religion évangélique (encore une trouvaille de l’auteur). Le couple bat de l’aile, et pour Parker, c’est le coup de foudre. Il décide qu’il enlèvera Maytén, mais elle ne se laisse pas convaincre tout de suite. L’inventivité de Varela et son humour se confirment au long des scènes dans le train fantôme, avec ses mannequins, et les attitudes déconcertantes des Boliviens. 

 

De village en village, ceux-ci étant distants de centaines ou de milliers de kilomètres, Parker va poursuivre la fête foraine, qui se désintègre par abandon de certains forains renonçant au métier, Bruno étant un des plus obstinés. Quand Parker arrive à ses fins et s’enfuit avec Maytén, l’histoire n’est pas finie, car elle rêve d’aller vivre à la capitale, Buenos Aires, celle-là même que Parker fuyait pour des raisons qu’on va découvrir peu à peu. Poursuivi par Bruno qui veut se venger, le couple est secoué par des aspirations différentes, alors que les éléments naturels se déchaînent…

 

Un livre qui m’a donné envie de lire le suivant, du même auteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

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