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Dix ans de retard
25 février 2021

2021 : 25 février : Deux livres d'Hélène Honnorat.

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Hélène Honnorat a énormément voyagé, et publié une petite dizaine d’ouvrages, chez divers éditeurs, et parfois sous pseudonyme. Voici les deux plus récents, aux éditions Yovana, à Montpellier : « N’oublie pas Irma » (2018) et « Sois sage, ô mon bagage » (2020). Nous sommes donc voisins dans le catalogue de Yovana, et à l’occasion de certains évènements organisés par notre éditeur, ou parfois dans des activités associatives. 

 

Voici une dizaine d’années j’ai fait deux séjours en Serbie pour y enquêter sur le destin des jeunes gens qui s’étaient opposé à la guerre de Milosevic et Tudjman dans les années 90. J’avais un projet de livre sur ce sujet, auquel j’ai renoncé quand j’ai mesuré mes limites linguistiques et culturelles. Un jour, à Belgrade, un ami français chez qui je logeais me présenta une de ses connaissances, une enseignante serbe aux traits eurasiens. Elle me raconta que son père, diplomate indonésien en poste dans la Yougoslavie socialiste de 1965 n’avait eu d’autre choix que de rester là après le coup d’état du général Suharto qui avait déclenché un gigantesque massacre de communistes ou supposés tels. Ainsi il avait troqué son statut de diplomate pour celui de réfugié, et fait sa vie au pays de Tito. 

C’est dans cette sanglante histoire indonésienne que plonge « N’oublie pas Irma », le roman d’Hélène Honnorat, même si l’action est située en 1995, trente ans après les massacres. Le narrateur est Léo, un coopérant français en poste à Djakarta, où il coordonne cours et examens de langue française dans un centre culturel lié à l’ambassade. Il est aussi un collectionneur passionné de « replicas », des objets artisanaux fabriqués en matériaux très légers (bambou, papier), qui peuvent représenter toutes choses de la vie terrestre (palais, temples, voitures, etc…) et sont brûlés en guise d’offrandes aux morts, notamment chez les Indonésiens d’origine chinoise, mais également dans d’autres traditions asiatiques. 

Dès la première page, l’action commence par l’incendie spectaculaire de l’atelier de « replicas » de Meng, un artisan chinois, ami de Léo. Et là je « grille » presque une habile tournure de la narration qui sème le doute chez le lecteur, alors je n’en dirai pas plus ! Peu de temps après, Meng est retrouvé mort et horriblement mutilé, dans un ancien cimetière colonial européen, proche de son atelier. Bien que ne lisant guère de polar ou de thriller, je dois reconnaître que ce début m’a saisi, et que j’ai eu du mal par la suite à lâcher le bouquin, dont le rythme est assez soutenu, à coup de dialogues vivants. Et même si l’intrigue est plutôt « cérébrale » car l’enquête va être résolue par une enquête dans le passé, à travers les archives (pas de poursuites, pas de fusillades), le mystère nous tient en haleine sur la distance (près de 300 pages qui passent vite) et la révélation de l’identité du meurtrier en surprendra plus d’un. (Non, ce n’était pas le majordome, mais…)

Léo est un célibataire habitant une grande demeure où s’affairent des domestiques qui sont plus liés à la maison qu’au locataire, et entasse sa précieuse collection de « replicas » dans des pièces inoccupées. Il se retrouve obligé d’héberger provisoirement, un peu contre son gré, un jeune couple de coopérants français fraîchement débarqués, Quentin et Estelle. Par ailleurs il entretient une relation sentimentale ambigüe avec Irma, une de ses étudiantes, sino-indonésienne et belle sœur de Meng, la victime. Aussi, quand on découvre dans l’agenda de l’artisan, à la date de sa mort, un petit papier déchiré où est écrit « N’oublie pas Irma », tout semble mettre la jeune femme au centre du mystère. C’est ce quatuor qui va mener son enquête, alors que diverses complications se profilent autour de Leo, et que Djakarta, comme le reste du pays, s’enfièvre à l’approche des célébrations du trentième anniversaire de la « révolution » de 1965, marqua le début des massacres des « communistes » et des « chinois » d’Indonésie, quand bien même ceux-ci étaient installés dans le pays depuis des générations, car soupçonnés de collusions avec la Chine de Mao.

Au-delà de l’intrigue policière, l’intérêt du livre est dans cette recherche historique sur des faits très méconnus en France, et la découverte de la complexité de la société indonésienne. Plusieurs bonnes raisons de le lire !

« Sois sage, ô mon bagage », n’est pas un roman, mais plutôt un essai, (sans la connotation trop sérieuse qui colle parfois à ce mot), un essai souriant de joyeuse érudition, qui ne fuit pas devant certains aspects plus graves de son propos. L’expérience de la grande voyageuse et grande lectrice alimente sa réflexion. Le constat de départ serait que, plus que tout autre caractère, « le bagage est le propre de l’homme ». (Et non le rire : les singes rient, mais ils ne trimballent pas de baluchons, autant qu’on sache). Par conséquent, en étudiant les bagages à travers les époques et les cultures, on peut en apprendre beaucoup sur l’humanité.

Bagages royaux, de la reine Victoria aux monarques saoudiens, bagages de miséreux, de migrants, de réfugiés, bagages de touristes, options minimalistes ou maximalistes, bagages surprenants (crabes vivants qui s’échappent pendant le vol), malles d’explorateurs du dix-neuvième siècle, tout y passe, avec une profusion de références littéraires qui n’alourdissent jamais le texte. Les derniers chapitres sont plus graves, quand il s’agit des migrants d’aujourd’hui noyés en Méditerranée, ou des républicains espagnols fuyant leur pays en 1939 (et les vers de Machado sont au rendez-vous, merci Hélène). Enfin le dernier chapitre évoque les bagages « post-mortem », des tombes préhistoriques aux pharaons et aux empereurs chinois, et même aux chers disparus d’aujourd’hui, fussent-ils voués à la crémation. (Là, on retrouve les "replicas" de "N'oublie pas Irma").

Cette lecture a rappelé à ma mémoire une vieille chanson de Philippe Chatel, (mort il y a quelques jours), « Tout quitter, mais tout emporter », en 1981, et ce principe que j’ai tenté d’appliquer, mais qui m’a coûté cher quand j’ai voulu partir autour du monde sur un voilier. Le jour du naufrage, on perd tout, la maison, le bagage, le véhicule, la bibliothèque, les illusions de jeunesse et bien plus. On finit presque à poil suspendu sous un hélicoptère. 

Il faut souhaiter que cette édition s’épuise vite, car Hélène Honnorat brûle certainement d’une mise à jour incluant l’affaire Carlos Ghosn, et si je peux me permettre une suggestion, pourquoi ne pas aborder la science-fiction, et le « Pantechnicon », la fabuleuse malle à haute technologie de Sparky Valentine, voyageur clandestin interplanétaire dans le roman de John Varley, « The golden globe » (Le système Valentine). 

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